[LIVRES] Métiers de rue à la Belle Époque

Livres : Métiers de rue à Paris à la Belle Époque - anar(t)chie, journal de bord

Bonjour à toutes et tous ! J’ai dernièrement terminé un livre passionnant dont j’avais envie de vous parler, notamment parce que je pense que c’est une ressource formidable pour les personnes qui créent des animations de reconstitution historique ou qui veulent simplement se coudre des costumes populaires.

Il s’agit du livre de Juliette Rennes, Métiers de rue. Observer le travail et le genre à Paris en 1900, publié en 2022 aux éditions de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). C’est un gros livre de recherche récente en histoire, mais je l’ai trouvé particulièrement bien écrit et accessible pour des amateur·es éclairé·es.

couverture du livre de Juliette Rennes, Métiers de rue.
Juliette Rennes, Métiers de rue. Observer le travail et le genre à Paris en 1900. Paris, éditions de l’EHESS, 2022.

Cette étude est née de la curiosité de l’autrice pour la gloire médiatique éphémère autour des premières cochères parisiennes en 1907. Comme d’autres métiers considérés comme masculins, celui de cocher s’est peu à peu féminisé au début du XXe siècle, ce qui a passionné les journalistes. Les commentateurs de l’époque voyaient même cet avènement comme un date marquante pour l’avancée du féminisme alors que quelques décennies plus tard, ce fait est relativement tombé dans l’oubli ainsi que les noms des premières cochères auxquelles les journaux avaient consacré des articles.

Parmi son corpus de sources archivistiques, les cartes postales anciennes représentant des petits métiers parisiens occupent une place importante ce qui rend ce livre d’autant plus intéressant pour nous reconstituteur·ices parce qu’il nous sert une belle base iconographique sur un plateau.

Dans le contexte des grands travaux d’Haussmann qui transforment la capitale à la toute fin du XIXe siècle, des photographes sont mandatés pour saisir des lieux avant démolition et c’est notamment dans ce cadre qu’Eugène Atget a réalisé ses séries de clichés sur le vieux Paris et les petits métiers.

page intérieure du livre de Juliette Rennes, Métiers de rue

L’autrice met au jour un lieu commun dans la littérature anthropologique du XIXe siècle, qui consiste à penser que la femme doit rester sédentaire, tandis que l’homme, lui, est plus nomade dans l’exercice de son activité professionnelle. Son étude montre en réalité que plus les métiers sont dégradants et en bas de l’échelle sociale et moins l’on se soucie de savoir que ce sont des femmes qui les exercent en devant parfois faire des kilomètres à pied dans des conditions très difficiles.

« Cette opposition genrée entre sédentarité et itinérance s’articule à celle entre activités d’intérieur et d’extérieur : en ville, les « métiers de femmes » doivent s’exercer dans les établissements ou à domicile, alors que les activités impliquant de passer du temps sur la voie publique sont réservés aux hommes, qu’il s’agisse de métiers ouvriers de carrières bourgeoises. »

Juliette Rennes, Métiers de rue. Observer le travail et le genre à Paris en 1900. Paris, éditions de l’EHESS, 2022. p.93

Le livre met aussi en lumière les difficultés des petits métiers de rue face au harcèlement policier, par exemple les marchandes des quatre saisons sommées d’être toujours en déplacement et brutalisées par les agents lorsqu’elles ont le malheur de s’arrêter, mais aussi la quasi impossibilité pour une femme seule de se déplacer à pied dans la ville. Les journaux font par exemple mention de plusieurs arrestations par erreurs de mères de famille arrêtées par la police et maintenues plusieurs heures en détention parce que soupçonnées de racolage. En 1894, un député commente d’ailleurs :

« On pourrait écrire des volumes sur les erreurs commises par les agents des mœurs qui, toujours un peu avinés, s’avancent sur la voie publique entre 10h et minuit, prenant dans leurs filets tous les malheureux qui marchent seuls. »

cité dans Juliette Rennes, Métiers de rue. Observer le travail et le genre à Paris en 1900. Paris, éditions de l’EHESS, 2022. p.125

Si une preuve de plus était nécessaire qu’il ne faisait vraiment pas bon être une femme en 1900…

Il est difficile de résumer le livre de Juliette Rennes parce qu’il est très riche et dresse vraiment un portrait vivant de ce que devaient être les rues de Paris entre 1880 et 1910 entre tous les métiers aujourd’hui oubliés, les flâneurs bourgeois, les voitures à cheval puis les automobiles, les suiveurs qui harcelaient de leurs œillades et commentaires graveleux les trottins (les jeunes travailleuses qui étaient chargées de transporter des paquets chez les clients), car oui, le harcèlement de rue déjà très institué au XIXe siècle.

« La valorisation du pittoresque des « petits métiers » peut ainsi révéler la position de classe qui la façonne : la critique de la modernisation est ici animée du regret du spectacle que constituent pour le flâneur bourgeois des activités physiquement pénibles réalisées dans la rue par des hommes de classes populaires. »

Juliette Rennes, Métiers de rue. Observer le travail et le genre à Paris en 1900. Paris, éditions de l’EHESS, 2022. p.105

Bref, c’est une lecture que j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir et que je vous recommande très chaudement. Nul doute qu’elle va beaucoup m’inspirer dans mes prochaines réalisations de costumes 1900.

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