Le problème des défilés en reconstitution historique

Réflexions sur les défilés en reconstitution historique - anar(t)chie, journal de bord

Bonjour à toutes et tous. Avant de revenir vous montrer de nouvelles créations, j’avais envie de vous parler reconstitution historique aujourd’hui.

Fin août dernier, j’ai participé, comme depuis trois ans, aux commémorations de la Libération de la Provence avec l’association Coudre l’Histoire. J’en ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog car ça a été pour moi l’occasion de coudre deux robes années 1940 (ici et ).

Il y a déjà quelques temps que la question des rapports entre les associations de reconstitution historique et les personnalités ou groupes politiques me travaille, et j’ai pu mettre le doigt sur l’un des problèmes que je n’arrivais pas encore bien à identifier à l’occasion de la Libération d’Avignon.

La reconstitution historique en public devrait toujours s’accompagner de médiation

Si pour le défilé de Salon de Provence, Romain et moi pédalions sur un tandem d’époque (que l’on nous avait prêté) et que nous sommes beaucoup entrés en interaction avec le public qui nous a fortement encouragés, nous nous trouvions à l’inverse sur un véhicule militaire américain à Avignon, avec pour seule tâche de sourire et de faire coucou à la foule en agitant des drapeaux français.

Un homme et une femme en costume années 1940 démarrent sur un tandem ancien
Romain et moi, saisis dans l’effort au démarrage du tandem. Photo par Thierry Escalier (tous droits réservés)

Si vous me lisez depuis quelques temps déjà, vous avez compris que le nom de ce journal de bord, anar(t)chie, n’est pas choisi au hasard. En effet, mon idéologie politique est proche de la théorie anarchiste ce qui suppose entre autres à la fois une opposition au nationalisme et un rejet du militarisme. Il y a donc une profonde dissonance pour moi à devoir agiter un drapeau français depuis un camion militaire, même si je suis supposée reconstituer une française de 1944 pour qui cela pouvait avoir du sens dans son contexte.

Cet été, j’ai compris ce qui me mettait mal à l’aise grâce à plusieurs interactions que notre groupe a eu pendant le défilé avec des personnes présentes le long du parcours. Je me suis aperçue qu’une part non négligeable de badauds n’avaient aucune idée que l’événement auquel ils assistaient était lié à la commémoration d’un événement historique et que ces gens-là ne savaient pas ce qu’ils étaient en train de regarder. Dès lors, quelle image renvoie un défilé de voitures militaires américaines pour des gens, à 100 % en 2024, qui n’ont aucune idée de ce qu’il se passe ?

Ces défilés de véhicules anciens (il n’y a pas que du militaire américain, mais aussi des tractions civiles et autres véhicules d’époque) ont un côté festif. Quand on fait régulièrement des sorties costumées, on constate que porter un costume fait généralement sourire les gens. Je ne l’ai expérimenté qu’en costume historique, mais je pense qu’il en est de même pour d’autres types de costumes (par exemple en cosplay). Le public est le plus souvent content de ce pas de côté dans son quotidien. Les gens en costume attisent la curiosité et génèrent le plus souvent de la bonne humeur.

Un homme et deux femmes en costumes années 1940 agitent des drapeaux français à bord d'un véhicule militaire américain
Avignon, 2024. Photo par Thierry Escalier (tous droits réservés)

Or, il me semble que la reconstitution historique avec tout ce qu’elle charrie en termes de récupération politique, de roman national aseptisé ou mensonger et d’ignorance de la recherche scientifique en histoire ne peut pas se contenter de faire sourire les gens, mais doit au contraire obligatoirement être accompagnée de médiation.

Il y a plusieurs profils de reconstituteurs et reconstitutrices. Certain·es sont attiré·es en premier chef par l’histoire et développent un vrai travail de médiation auprès du public pour partager leurs domaines de spécialité en organisant des animations ou des démonstrations par exemple. D’autres sont attiré·es en premier lieu par le fait de porter un costume, c’est de ce groupe dont je fais partie et donc à ce groupe auquel je m’adresse ici.

Même si je m’intéresse bien sûr à l’histoire, mon intérêt premier est de créer des costumes et d’avoir une occasion de les porter. Pourtant, si dans le cadre d’un événement privé, il est tout à fait acceptable de se contenter du plaisir de porter des costumes, j’estime que dans le cas d’événements avec du public, nous avons pour responsabilité d’être plus que de jolis porte-manteaux. Nous avons le devoir de ne pas faire et dire n’importe quoi puisque, dès lors que nous portons un costume, nous passons pour des « sachant », c’est-à-dire des personnes qui en savent plus que le passant moyen et qui de ce fait, détiennent une certaine autorité, que ce soit vrai ou non. Il y a à mon sens, une rigueur morale à avoir quand on choisit de déambuler en costume historique et que l’on ne peut pas ignorer.

Quatre personnes en costumes années 1940 sont assises dans un véhicule militaire américain de la seconde guerre mondiale
Trets, 2022. Photo par Thierry Escalier (tous droits réservés)

Quid des défilés ?

Au risque de paraître radicale (après tout, je suis anarchiste), je pense que nous devrions tou·tes nous abstenir de participer à des défilés. Mieux encore je pense que les mairies devraient cesser d’organiser ce genre d’événements afin de privilégier des temps d’exposition, de rencontres, d’échanges et pourquoi pas d’animation pour aller au-delà de ces chimères festives et apporter plus que de simples coucous à la cantonade. Sans compter que les défilés ne présentent aucun intérêt pour personne.

Après Avignon, je me suis dit que je ne participerais plus à un défilé sans avoir quelque chose de concret à y faire, mais comme les occasions de reconstitution par chez moi ne sont pas légion, il sera difficile de ne plus du tout y assister. Il me reste un an pour trouver un moyen acceptable pour moi de continuer ce genre de sortie et pour le moment, la seule que je vois est d’acheter un tandem des années 1940. On en reparlera donc l’année prochaine. ^^

Si vous avez lu mon article dédié à ma dernière reconstitution historique Premier Empire, vous aurez compris que je tâtonne beaucoup en ce moment pour trouver des types d’événements costumés avec lesquels je suis en accord moral et politique. Je le répète, mon intérêt premier est de coudre des costumes historiques et d’avoir des occasions de les porter un peu plus longues que de simples shooting photo, mais je ne peux pas non plus me complaire dans l’illusion de sorties qui seraient « hors du temps ».

C’est une chose que j’ai beaucoup entendue à propos de sorties en costumes historiques, mais nous ne sommes jamais « hors du temps ». Nous sommes en permanence des humain·es du XXIe siècle et nos actions influencent ce qui se passe autour de nous. Lorsque nous déambulons en costume historique, nous véhiculons quelque chose, que nous le voulions ou non et j’estime que nous devons avoir un regard critique sur ce que nous représentons, voire que nous infléchissions ce que nous avons envie de transmettre aux gens qui nous regardent.


J’arrête ici cette ébauche de réflexion. N’hésitez pas à réagir à cet article et à me donner vos impressions, en particulier si vous faites vous aussi de la reconstitution historique. De votre côté, que pensez-vous des défilés ? Vous aimez ou non ? Je vous donne rendez-vous bientôt pour un nouvel article, d’ici là bonne semaine.

2 commentaire

  1. Je te suis tout à fait dans cette réflexion. J’ai eu des discussions avec des personnes sur « le bon vieux temps », celui-ci datant de différentes périodes selon les personnes. Dans ce cas, je leur rappelle selon la période en question : la pratique de l’esclavage, le gaspillage écologique complet, l’absence de droits pour les femmes et les enfants, le niveau médical qui impliquerait que je serais morte en bas âge si j’étais née à cette période là (avant les années 50 dans mon cas), la colonisation, les nationalismes, etc.
    Replacer les fantasmes historiques dans la réalité quotidienne est un exercice intéressant.
    Dans cet esprit, as-tu lu Outlander ?

    1. Non, j’ai regardé le premier épisode de la série qui ne m’a pas du tout emballée. le livre vaut le coup ?

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