Ode à la complexité

Ode à la complexité - anar(t)chie, journal de bord en ligne

Bonjour à toutes et tous. Je commence la rédaction de cet article après avoir vu passer sur Instagram, les stories d’une influenceuse couture, débutante en tricot, à la recherche de patrons de tricot susceptibles de correspondre à son niveau et se basant sur le style des ouvrages pour déterminer la difficulté du modèle. Sans surprise, elle considérait que de nombreux modèles étaient trop compliqués pour elle et les écartait de ses possibilités.

J’aimerais vraiment qu’on arrête avec ça, qu’on arrête avec le fait de s’empêcher de faire des choses qui nous font envie sous prétexte qu’elles ne sont pas à notre niveau et je vais vous expliquer pourquoi.

Quand on débute dans une activité, il n’y a rien de plus inefficace pour progresser que de fuir la complexité. Complexe ne veut pas dire difficile. Ce qui compte dans un patron couture ou tricot, ou même dans un cours d’aquarelle d’ailleurs (et j’imagine dans tout un tas d’autres activités que je ne connais pas), c’est moins le modèle en lui-même que la manière dont il va être expliqué pour permettre à quiconque, y compris des débutant·es de le réaliser. Il y a évidemment des exceptions à ça, certaines techniques peuvent être vraiment difficiles à maîtriser, mais globalement ce que l’on perçoit comme un projet complexe ne veut pas du tout dire que c’est automatiquement un projet difficile.

Quand j’ai commencé la couture vers 2009/2010, c’était pour me coudre une robe à crinoline pour participer à un jeu de rôle grandeur nature. La toute première pièce que j’ai cousue, en totale débutante, a donc été un corset victorien. Est-ce que c’était un projet complexe ? Définitivement. Était-ce difficile ? Pas du tout.

Évidemment, en tant que totale débutante, j’ai cherché à me simplifier la vie et j’ai acheté un kit avec le patron et les fournitures (sauf le tissu) proposé sur la boutique Alysse Créations. Le patron était un corset victorien de chez Laughing Moon (une très bonne marque de patrons historiques), traduit en français par Alysse Créations, et les explications étaient ultra détaillées. J’ai réussi à coudre mon corset sans obstacle majeur et j’étais ravie. Était-il parfait ? Bien sûr que non, mais cela n’a aucune importance face à la fierté ressentie.

Devant corset XIXe siècle
Le premier corset que j’ai cousu grâce à ce fameux kit Alysse créations

Je suis vraiment convaincue que l’on fait fausse route quand on s’interdit de réaliser des choses sous prétexte qu’elles sont trop difficiles pour nous.

Pour commencer, lorsque l’on débute, on est vraiment très mauvais juge de ce qui est difficile ou non. C’est normal, on découvre l’activité, on n’a pas encore bien compris ses tenants et aboutissants et tout nous semble une montagne. Par exemple, avant de peindre la rose ci-dessous à l’aquarelle, j’étais convaincue que c’était un projet très difficile et que je n’y arriverais jamais. J’avais complètement tort, c’est un projet en réalité très facile, que j’ai pris beaucoup de plaisir à peindre et dont le résultat est quand même très correct. Bien sûr, comme mon corset, cette peinture n’est pas parfaite, mais est-ce un problème ?

exercices d'aquarelle botanique représentant des œufs, des cerises, une clémentine et une rose
Tous ces modèles d’aquarelles botaniques peints par mes soins viennent du club d’aquarelle de Vivre & Créer

Ensuite, à se rabattre sur des choses qui nous font moins envie sous le prétexte qu’elles sont plus faciles on :

  • rencontre le risque de tomber sur des explications indigentes et il n’y a rien de pire pour se dégoûter (j’ai vu plusieurs exemples de livres de projets pour débutant·es affreusement mal expliqués),
  • rencontre le risque de ne jamais terminer parce que qui a envie de passer du temps sur un projet qui l’emmerde ?
  • rencontre le risque de ne pas faire de progrès dans la-dite activité, parce que la progression n’est pas possible si on ne se confronte pas un peu à la complexité. Or si on veut arriver un jour à réaliser des projets difficiles qui nous font rêver, il faut bien monter en compétences.

À mon avis, la progression demande un minimum d’ambition : je veux être capable de me coudre ma garde-robe, je veux être capable de tricoter mes pulls, je veux être capable de peindre des fruits ressemblants à l’aquarelle… ce ne sont que les exemples de mes ambitions personnelles, mais vous avez probablement les vôtres.

Croyez-vous que je pourrais faire toutes ces choses aujourd’hui si, à un moment de ma vie, étant parfaitement débutante, je ne m’étais pas fixé ces objectifs ? Je suis comme tout le monde, j’aime glander dans mon canapé, je n’aime pas les choses trop difficiles et je perds vite patience. Je suppose que ce n’est pas forcément perceptible en suivant ce que je poste sur ce blog ou sur Instagram, mais les personnes qui me connaissent dans la vie le savent et m’entendent beaucoup me plaindre : « Je n’y arrive pas », « Ça ne marche pas comme je veux », « Je n’y arriverai jamais », « Pourquoi je me suis lancée là-dedans ? ». Voilà les pensées qui jalonnent le parcours de quelqu’un qui avait pour ambition de se coudre intégralement sa garde-robe, de se tricoter des pulls, d’écrire des romans et de peindre des fruits à l’aquarelle.

Ces objectifs, au bout de plusieurs années pour certains et au prix de nombreux efforts, plaintes et envies d’abandonner, je les ai à peu près atteints. Ce n’est pas parce que j’étais particulièrement douée pour y arriver, mais juste parce que ça faisait partie de mes objectifs dans la vie et que, de fait, j’ai pris des décisions dans mon existence pour les atteindre. Par exemple, pour l’écriture de roman, en m’astreignant à une discipline quotidienne, ou, pour la couture, en achetant des patrons de vêtements dont j’avais besoin comme des manteaux ou des jeans sans m’arrêter sur leurs difficultés. Pour le tricot, en tricotant les projets que je trouvais beaux et que j’avais envie de porter, sans me préoccuper non plus de leur niveau de difficulté.

Ma marge de progression est encore grande, je ne me suis pas encore confrontée au jacquard ou au point brioche, je n’ai pas cherché à améliorer ma technique couture en passant le CAP… Chacun·e met ses ambitions où iel veut, mais par pitié, arrêtons de nous brider !

pull Parisienne dans Sentimental tricot d'Alice Hammer
Ci-dessus les deux premiers projets de ma vie en tricot : j’ai commencé par le bonnet, puis j’ai enchaîné avec pull. Si vous le croyez difficile à tricoter, il n’en est rien.

L’illusion du gâchis

J’ai l’impression que chez bon nombre de personnes qui n’osent pas se lancer dans des projets un peu complexes, il y a une peur de gâcher : de la laine, du tissu, du papier…

Lorsque l’on se contente de choisir des modèles simples pour débutant·es il y a un truc de l’ordre de l’investissement minimum. Si ça n’aboutit pas, on se dit que ce ne sera pas grave parce que l’on n’aura pas gâché trop de fournitures, mais je pense que c’est une grave erreur, parce que dès le début justement, on se prépare déjà à échouer.

La possibilité de l’échec est là à chaque instant de nos vies. Que nos ambitions soient basses ou hautes, on peut toujours échouer pour plein de raisons et c’est ok. Aucun échec n’est définitif (ou presque), ce qui est quand même plutôt une pensée encourageante. Du coup, sans nier cette possibilité d’échouer dans la vie, pourquoi s’y préparer avant même de commencer ? Personnellement, j’estime que c’est se tirer une balle dans le pied et je trouve bien plus de gâchis dans le fait de passer du temps sur un projet qui ne nous fait pas vibrer avec des fournitures qui ne nous plaisent pas.

Bref, vous l’aurez compris, je déteste le marketing qui surfe sur le syndrome d’imposture des gens, en particulier des femmes, et je crois profondément que ça ne rend service à personne. Arrêtons collectivement de nous croire incapable de faire des trucs avant de nous y mettre et faisons-les, par pitié !


Voilà ce que j’avais envie de vous dire sur le sujet. Je suis un peu véhémente, mais c’est un sujet qui m’agace beaucoup. Bref, je vous laisse ici et je vous dis à la semaine prochaine (exceptionnellement mardi) pour vous parler tricot ou lingerie, je n’ai pas encore décidé. Bonne semaine !

6 commentaire

  1. Je suis parfaitement d’accord avec toi. Et je te remercie d’avoir écrit cet article long et riche sans utiliser l’expression qui me sort par les oreilles tant elle m’agace : sortir de sa zone de confort… ton approche est vraiment intéressante et je m’y retrouve d’autant plus que, prof, j’entends toute la journée affirmer :  » c’est difficile » comme s’il s’agissait d’un défaut rédhibitoire. Et je réponds toujours « Oui, c’est difficile, et alors ? Où est le problème ? ».

    1. Merci Christine. Oui, d’autant plus que ce qui paraît difficile au début peut très bien paraître plus facile à force de s’y confronter.

  2. Bonjour et merci pour ce post ! Je suis bien d’accord !!! Rien de mieux pour se démotiver que de coudre un truc sans intérêt parce qu’on n’ose pas faire plus. À chaque fois qu’on me dit « ça doit être compliqué  » en parlant de la couture d’une grosse pièce comme un manteau je réponds qu’au final ce n’est rien de plus qu’un ensemble de petites coutures simples. Par contre, il faut être bien accompagné. Pour moi un patron débutant c’est un patron avec des instructions de qualité, des repères bien indiqués…
    Ma première cousette était une chemise pour mon conjoint, poussée par l’envie de le surprendre je me suis mise à fond dedans. Il n’a pas pu la mettre, mais j’étais tellement contente d’avoir été au bout ( et visuellement elle était bien), ça m’a motivée à continuer, je pense bien plus que si j’avais cousu une trousse. (Bien que j’aime beaucoup coudre des accessoires aujourd’hui.)
    L’essentiel est de trouver ce qui nous motive je crois, petit projet minimaliste ou gros chantier 😉

    1. Oui exactement, et surtout ne pas brider nos envies !

  3. Oh que oui ! Je suis totalement d’accord avec toi!
    C’est important de monter un peu en difficulté pour apprendre de nouvelles compétences. Bien souvent je me rends même compte que la nouvelle technique est tellement plus simple que prévue. (Je reste encore scotchée devant la facilité de la dentelle au tricot, incroyable comme on peut faire des trucs super stylés juste en enroulant le fil autour de l’aiguille de temps en temps !)

    1. Oui, je trouve ça particulièrement vrai pour le tricot. J’étais hyper impressionnée avant de commencer, notamment les torsades et en fait c’est un vrai jeu d’enfant. Tant que les explications sont claires, on peut faire des merveilles !

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