Bonjour à toutes et à tous ! Le texte d’aujourd’hui est issu d’une collaboration datant de 2018 avec l’artiste Justin Boillon (vous pouvez consulter son compte Instagram ici). Elle avait déjà été publiée sur feu mon blog Le Papyrophile,et mérite à mon sens d’être repartagée. Bonne lecture !
Deux tartines, un comprimé de Juvamine, un café : toujours dans son mug préféré. Dans la cuisine, la pendule IKEA fait tic tac sur le carrelage blanc. Il mâche sur le rythme des aiguilles, bien au-dessus de la table pour ne pas salir sa chemise. Sous son regard, la une du Monde est étalée. En 5 minutes avant d’y aller, il a le temps de capter l’essentiel de l’actualité. Politique, scandales et sexualité, ça fera de bons sujets de discussion au déjeuner.
La cravate époussetée, un chewing-gum entre les dents, il quitte l’appartement. Le chemin est direct jusqu’au métro, il n’y a qu’à traverser. Déjà il pense à son programme de la journée. En ce moment il est submergé de dossiers, les projets sont stimulants. Coincé contre la vitre, il lit tous ses mails pro avant d’arriver au bureau.
Deux tartines, un comprimé de Juvamine, un café serré. Il a eu du mal à se réveiller. Tic tac monotone de la pendule IKEA qui le berce doucement. Dans son mug customisé, le café est trop chaud et brûle les doigts. Il a failli le renverser sur sa chemise repassée. Sur la table en mélaminé, il n’a que deux minutes pour jeter un œil à la une du Monde étalée. Politique toujours, il devra improviser au déjeuner.
Les tartines à peine avalées, la cravate époussetée, un chewing-gum entre les dents, il quitte l’appartement. La rue est traversée en courant. Déjà il est dans le métro bondé, le smartphone dégainé.
Tartines, comprimé de Juvamine, café serré. À côté de la pendule IKEA, un flyer coloré. Ça fait une touche orangé, une touche de gaîté. C’est la première fois depuis quatre ans, qu’il investit ses murs blancs. Dans son mug préféré, celui avec sa tronche du parfait employé, il fait lentement tourner son café. Le Monde à plat sur la table en mélaminé, un titre l’a interpellé. Vous ne regarderez plus les pigeons de la même façon ! Des dinosaures à plumes grises dans le ciel de Paris. Il se met l’article de côté, il n’a pas le temps, les dossiers du jour sont importants.
La cravate époussetée, un chewing-gum entre les dents, il quitte l’appartement. Dans le métro, collé contre la vitre, il laisse son smartphone dans sa poche et son esprit rêvasser. Les pigeons prennent une autre dimension.
Routine tartines-Juvamine et café. Enfin, presque, il a oublié d’en racheter. À côté du flyer coloré, l’article sur les oiseaux-dinos. Il se sent observé. Dans son mug préféré, celui avec sa tronche bien rasée, une saloperie de thé. La pendule IKEA martèle la mauvaise journée, il s’est levé pour enlever les piles, la table en mélaminé est devenue une rivière agitée. Tant pis s’il part en retard, il a besoin de processer.
Un chewing-gum entre les dents, il quitte l’appartement la cravate à peine nouée. Dans le métro, il observe les gens par leurs smartphones absorbés. Au bureau c’est la première chose qu’il fait remarquer, on le regarde l’air gêné.
Routine tartines-Juvamine-café desserré. Le mug, toujours, offert par les collègues l’an passé, mais l’anse est restée au bord de l’évier, il a failli tout dégueulasser. À la place de la pendule IKEA, des dizaines de pliages en papier. Sa collection du Monde s’est mise en mouvement. Il ne pensait pas que ça le détendrait autant. Le café posé à côté sur la table-rivière mélaminée, il découpe le journal de la journée. Il n’a pas vu le temps passer.
Un chewing-gum entre les dents, il quitte l’appartement. Dans la vitre du métro, son reflet sans cravate, ça n’était jamais arrivé.
Au bureau ça dort un temps et puis ça fuse au déjeuner : « Tu as changé.».
Routine tartines-Juvabien-café décomplexé. Le mug toujours à l’anse cassée. Il faudra la recoller. Dans la cuisine les murs ne sont plus blancs, mais chamarrés. Autour des formes en papier, des myriades d’histoires racontées. Les oiseaux-dino se sont installés. Ils ont décidé une attaque en règle contre les dossiers. Tiens, et s’il buvait un deuxième café ? C’est comme s’il remontait le temps.
Franchement en retard, il n’a même pas fait semblant d’être essoufflé. Il a laissé passer plusieurs métros assis sur le quai des feuilles de journal au bout des doigts. Au déjeuner ça fuse comme un feu d’artifice de pétards mouillés. Il hausse les épaules, il n’a pas écouté.
Déroutine tartines-Juvabien-café frappé. Le mug « Ed, meilleur employé » a été jeté dans le garde-manger des oiseaux-dino. Il ne l’aurait jamais recollé. Les murs du Monde se sont animés et accaparent tout son temps. Au boulot, il a posé ses congés.
Livre sous le bras et pantalon de survêtement il quitte l’appartement.
Merci pour ce » re-partage » que je lis pour la première fois et qui me plaît beaucoup par son rythme , sa progression et l’inquiétude distillée mine de rien . L’illustration y participe pour beaucoup , bravo à Justin Boillon . J’aime lire ces textes courts toujours surprenants qui ouvre sur des infinis .
Merci beaucoup Eduenne ! 🙂