La garde-robe « indispensable » d’une Parisienne en 1880 (1)

Garde-robe indispensable d'une Parisienne en 1880 - Carnet de recherches de Lucie Choupaut

Bonjour à toutes et à tous ! Mon mois de mai aura été assez chargé avec peu de couture depuis ma robe années 1940, et pas vraiment le temps de terminer la rédaction des articles commencés. J’ai cousu une chemise swallow sans manches en double gaze pour l’été, mais je n’ai pas encore pris le temps de la prendre en photo et je vous avoue qu’elle ne m’emballe que moyennement. J’ai aussi peu tricoté et mon pull Docker d’Alice Hammer est encore loin d’être terminé. Bref, tout cela fait que j’ai un peu déserté le blog depuis le début du mois et depuis mon retour chez moi j’ai tellement de projets d’écriture en cours que le carnet de recherches en pâtit. C’est la vie, les mois de mai et juin sont toujours un peu mou pour moi sur le blog, l’arrivée des beaux jours me donnant envie de m’éloigner de mon ordinateur… Toujours est-il que si je n’ai pas de nouveaux contenus à vous partager, je me suis rappelée que j’avais une assez grosse somme d’articles publiés initialement sur Mode d’Hier et d’Aujourd’hui, que je n’avais pas encore pris le temps de remettre en ligne ici. Je vous propose donc aujourd’hui la republication d’un article écrit le 23 avril 2013, qui vaut, je pense, toujours la peine d’être lu, au sujet de la garde-robe indispensable d’une Parisienne en 1880. Même si mes connaissances sur la mode en 1880 ont beaucoup évolué depuis, ces notes de lecture pourront malgré tout servir…


Après quelques généralités sur la Parisienne en 1883 vue par Mme Emmeline Raymond (rédactrice en chef de la revue « La Mode Illustrée »), rentrons dans le vif du sujet : si la Parisienne est l’élégance incarnée, de quoi est donc constituée sa garde-robe et quels sont ses secrets ?

Dans Le secret des Parisiennes[1], Mme Emmeline Raymond s’adresse aux femmes d’un revenu moyen et nous parle de mode sous l’angle de la morale. Pour elle, une bonne Parisienne est quelqu’un de raisonnable et économe qui n’est pas victime de la mode, mais pour qui cette dernière n’a pas de secrets.

Les toilettes de jour

Quand les ressources du ménage sont serrées, il convient d’adopter des couleurs neutres « qui s’accommodent du voisinage de toutes les teintes ». Ce conseil (qui serait toujours valable aujourd’hui) explique « la fortune du noir pour l’hiver » et « des teintes grises et havanes pour toutes les saisons ». Les Parisiennes préfèrent des garnitures simples afin d’être préservées « des bouleversements trop soudains ». Même si la mode, ne change pas si vite que ça.

« Quand on habite loin de Paris, on s’imagine volontiers que la mode change chaque jour, et que l’on aurait un aspect suranné en portant des vêtements ou même des ornements de robes déjà connus (…) c’est une erreur (…) les changements procèdent par transitions, par lentes transformations, et plutôt dans l’ensemble que dans les détails. »

À propos des garnitures d’ailleurs :

« la mode ne prend pas la peine de fixer la date de ces innombrables détails et en abandonne le choix au goût particulier de chaque personne. »

De plus en plus de femmes savent « préparer leurs coiffures, bonnets, tailler et préparer tout au moins les pardessus et les robes de demi toilette ». Cette évolution, nous dit Mme Emmeline Raymond est liée à l’augmentation du coût de la main d’œuvre et « des sommes énormes exigées par quelques couturières de renom ». D’ailleurs, cela n’est pas compliqué car favorisé par la mode :

« Jamais la mode n’a été si favorable qu’en ce moment à ces diverses combinaisons car elle est fait de pièces et de morceaux : elle permet l’alliage de plusieurs couleurs, elle autorise les corsages qui diffèrent de la robe (…) »

Mme Emmeline Raymond évoque, par exemple la fortune du « corsage en cachemire » qui est commode parce qu’il peut être porté avec une jupe dépareillée.

La rédactrice en chef de la Mode Illustrée appelle donc ses lectrices à la raison : mieux vaut, selon elle, mettre souvent une toilette à la mode que de dépenser trop pour laisser des tenues au placard. Seules des femmes frivoles et extravagantes pourraient reprocher à une femme aux revenus modestes, de s’habiller selon ses revenus, or l’opinion des personnalités moralement douteuses doit glisser sur les femmes raisonnables comme l’eau sur les plumes d’un canard. Ainsi Mme Emmeline Raymond ne voit pas plus de trois toilettes nécessaires dans la garde robe d’une Parisienne en été, le plus important étant de respecter les formes à la mode :

  • La toilette du matin (« pour les courses de ménage et d’emplettes ») : ce doit être « une robe en légère étoffe de laine grise, chinée ou rayée de noir » , « un petit paletot ou pardessus quelconque » (la garniture doit être simple : lacets noirs de laine ou une « ruche à la vieille » => ne me demandez pas, pour l’instant je ne sais pas ce que c’est), et d’un chapeau en grosse paille grise « avec de gros rubans vert, bleu ou à carreaux écossais ».
  • La toilette de visite intime (ou demi toilette) : elle est en alpaga ou en mohair « gris argent ou havane clair ». Le pardessus est pareil à la robe et la garniture est un peu plus élégante que celle de la toilette du matin (passementerie ou broderie en soutache ou lacets de soie). Le chapeau est de crin noir ou de couleur.
  • La toilette de visite ou de promenade plus parée est plus ou moins riche en fonction des moyens de la dame. Elle est en « poil de chèvre de nuance unie ou fond blanc avec des carreaux ou rayures » : la garniture est en soie et doit être impérativement (!) de même nuance que la couleur des rayures ou des carreaux. Cette toilette de visite plus parée peut également être en « foulard uni ou bien à dessins », en « grenadine de laine », en « taffetas léger de nuance claire » ou encore en « organdi imprimé ». On la porte avec un chapeau plus élégant en crin blanc ou en paille blanche de fantaisie ornée de plumes ou de fleurs. Il convient d’ailleurs de noter ici que c’est le seul chapeau que l’on orne. De bon matin, une Parisienne comme il faut selon Mme Emmeline Raymond ne porte pas de plumes à son chapeau : une vraie Parisienne ne doit jamais être trop parée tôt dans la journée (la toilette du matin reste donc sobre et peu ornée). Par ailleurs, en été, on ne porte, a priori, pas de soie (les soieries légères sont surtout réservées au printemps et à l’automne).
Robe d'après-midi 1880 conservée au Metropolitan Museum of Art
Ensemble d’après-midi, 1878-1882, Metropolitan Museum of Art. Source

Selon notre rédactrice en chef, ces trois simples robes de journée peuvent suffire pour toute une saison. Elle ajoute d’ailleurs qu’on « trouve toujours, parmi les robes de la saison précédente, au moins l’une de ces trois toilettes ». « Le secret des parisiennes consiste à n’avoir point de robes qui fassent double emploi », sinon on ne sait plus laquelle mettre, les robes restent au placard, et où va le monde ma bonne dame !?

Ajoutons que si elle est riche, la Parisienne peut supprimer un échelon et sa demi toilette devient sa toilette du matin.

Pour l’hiver, la toilette du matin doit être en tissu simple, solide et de couleur modeste afin de « passer inaperçu » (cela semble indispensable à Mme Emmeline Raymond de passer inaperçu) et de braver les intempéries. En outre Mme Emmeline Raymond nous indique que la toilette de visite qui circule à pied n’est pas aussi parée que la toilette de visite qui circule en voiture (à cheval, cela s’entend).

  1. À pied il convient d’être simple et sobre même si l’on porte de riches soieries et des dentelles. Les nuances doivent être foncées, les gants en teinte demi-claire et on s’accompagne évidemment d’un parapluie.
  2. En voiture, la toilette de visite peut être un peu plus parée, mais attention tout de même à ne pas faire sapin de Noël ! Ce petit paragraphe au sujet des tenues de visite portées en voiture m’a bien fait rire :

« Quant aux toilettes de visite circulant en voiture elles atteignent en ce moment des limites d’excentricité qu’il sera difficile de dépasser : ce sont des costumes empruntés à tous les siècles, à tous les pays, surchargés de verroteries, de couleurs tranchantes, ouverts et relevés par devant sur des jupons de soie, de nuance vive, garnis de volants de dentelle, ornés de glands, de perles, enfin défiant toute analyse. Je n’ai pas besoin d’ajouter que la véritable Parisienne, j’entends celle qui n’aime pas à faire concurrence aux dames qui composent, le jour du mardi gras, la suite du bœuf couronné, se préserve soigneusement de ces toilettes trop caractéristiques, et ne pense pas que sa voiture soit l’asile inviolable de toutes les excentricités (…) »

Une Parisienne économe n’achète pas de toilette d’intérieur. Mme Emmeline Raymond nous apprend que c’est « la mode des vestes qui permet d’user chez elle les jupes des robes du matin ou des robes de visite qui ne peuvent plus affronter le grand jour ». « La veste de drap ou de cachemire dure fort longtemps, et compose, avec une jupe quelconque, un costume d’intérieur parfaitement convenable ».

Contrairement à ce que je croyais les tenues de jour reçoivent un soin plus empressé que les toilettes du soir, car elles « sont destinées à un service actif ». À plusieurs reprises Mme Emmeline Raymond nous dit que si la toilette du matin « ne peut plus affronter le grand jour il faut la remplacer par un tissu solide (popeline de laine et soie ou bien toile de laine). Il faut payer cette robe au moins 40 ou 45 francs car « à ce prix la robe pourra remplir les fonctions fatigantes qui lui sont assignées pendant 3 hivers au moins ». On voit donc qu’il n’est pas question de changer de toilettes à toutes les saisons. Les toilettes fatiguées qui ne peuvent plus « affronter le grand jour » sont conservées pour les journées d’hiver rigoureuses où il faut absolument sortir : « on revêt l’ancienne toilette du matin pour ménager la fraîcheur de celle qui lui a succédé ».

Mme Emmeline Raymond nous dit aussi que l’on peut utiliser une toilette de visite pour en faire une toilette du matin « en enlevant les garnitures trop ambitieuses, trop compliquées ».

Les toilettes de visite en hiver sont des robes en taffetas noir ou foncé ou en soierie brochée. Lorsqu’elles « ont perdu leur fraîcheur », elles peuvent être transformées en toilettes de spectacle :

Une parisienne ne mettra pas une robe neuve pour aller au théâtre ; elle n’exposera pas cette robe à être froissée dans les places toujours trop exiguës que l’on accorde aux spectateurs, mais elle saura embellir sa toilette par un joli chapeau, un châle, ou bien un mantelet et des gants de couleur claire. »

Robe de jour Madame Bartholomé 1880
Robe d’été portée par Mme Bartholomé, 1880. Paris, musée d’Orsay (visible lors de l’exposition L’impressionisme et la Mode au musée d’Orsay du 25 septembre 2012 au 20 janvier 2013).

Les toilettes du soir

  • Les toilettes de dîner sont confectionnées dans des tissus de nuance claire ou demi-claire. Les vieilles femmes portent le corsage montant, les corsages des jeunes femmes sont, quant à eux, « décolletés et accompagnés d’un fichu ou d’une veste fichu à manches demi-longues en tulle et dentelle pour les jeunes femmes ». « Les jeunes filles mettent en toute circonstance des corsages blancs, montant ou demi décolletés avec ceintures et corselets ; quant à la robe les nuances grises, abricot, bleu clair, mauve, vert clair sont indifféremment admises. » Cette mention de « ceintures et corselets » m’a un peu étonnée pour la période du début des années 1880 et je ne parviens à visualiser de quoi il s’agit.

Il faut noter qu’en hiver c’est la couleur d’une robe qui marque son degré d’élégance : plus la teinte est claire et plus on est parée, même si l’étoffe foncée est riche.

  • Les toilettes de soirées sont comme les toilettes de dîner sauf qu’elles sont décolletées et portées sans fichu. Il faut distinguer les toilettes de soirée des toilettes de bal (les unes ne dansent pas et les autres dansent). Ici Mme Emmeline Raymond se fend d’un petit laïus sur les règles de décolletés au théâtre et à l’opéra (qui mériteront à elles seules une recherche). Celles-ci sont très strictes : à l’Opéra français et au Théâtre Italien les premières loges doivent être en toilette de bal tandis que cette toilette de bal serait déplacée dans l’amphithéâtre où il convient de porter d’élégantes toilettes de ville avec un chapeau en tulle blanc ou en tulle de couleur. Dans des théâtres un peu moins importants, mais importants quand même, la toilette de bal n’est plus de rigueur, mais les premières loges doivent tout de même porter des corsages décolletés. Dans tous les théâtres de moindre importance il est impossible d’exhiber des corsages décolletés. On sera donc prévenu pour la bienséance !
Toilette de dîner 1878-1880 Victoria & Albert Museum
Toilette de dîner, 1878-1880, Victoria & Albert Museum, Londres. Source

Les toilettes de dîner et de soirée peuvent être composées avec des éléments empruntés aux toilettes de jour d’été, à la condition expresse qu’ils soient de teinte claire. Pour les jeunes filles Mme Emmeline Raymond conseille des jupes claires, associées à un corsage blanc, une ceinture large à haute boucle ou une ceinture à basques ou à pans. Ces corsages blancs semblent être adorés par notre rédactrice qui précise qu’ils peuvent, à la rigueur être portée jusqu’à 35 ans si l’on a la taille fine, et parfois même jusqu’à 40 ans, lorsque la dame est très mince. Pour les tenues du soir, la mode favorise apparemment l’usage des garnitures de couleurs tranchantes. Les tenues de dîner et de soirée des jeunes femmes sont composées de « tissus de fantaisie blancs » : une étoffe légère avec des ornements plus ou moins compliqués en taffetas bleu, cerise, bouton d’or, rose ou rouge avec un entre-deux noir « en imitation » (?) pour atténuer la teinte de l’ornement (une jeune fille peut adopter les mêmes combinaisons mais sans l’entre-deux noir).

Notez que d’un point de vue couleur, il faut abandonner le rose pendant l’époque qui marque la transition de la jeunesse à l’âge mûr.

Voilà pour les prescriptions de Mme Emmeline Raymond pour les diverses toilettes de la journée. La deuxième partie de cet article sera réservée à la lingerie, aux jupons et aux accessoires.


[1] Toutes les citations de l’article sont tirées de Le secret des Parisiennes, suivi de Mélanges, par Mme Emmeline Raymond, Bibliothèque des mères de famille, 1883 (2e édition). Source : Gallica.

Photo de couverture : [Lydie Borel]. « Mascotte » : [photographie, tirage de démonstration] / [Atelier Nadar] 1880. Source : Gallica

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