Le mythe de la Parisienne en 1880 – Généralités

La Parisienne en 1880 - Carnet de recherche de Lucie Choupaut

Bonjour à toutes et tous ! Comme ce mois de juin est plutôt compliqué pour moi (je peine à trouver la motivation à faire quoi que ce soit), il n’y aura pas de nouvel article cette semaine, mais la republication d’un ancien, datant du mois d’avril 2013. Je n’avais pas autant de connaissances sur la période à l’époque où je l’ai écrit, mais je pense qu’il est tout de même intéressant. J’ai ajouté quelques commentaires dans le texte pour apporter quelques précisions. Bonne lecture !


La Parisienne, what else ?

Comme je l’avais déjà évoqué sur ce blog, j’ai envie de me pencher sur la garde-robe des femmes en 1880. En parallèle de mon projet de robe à la polonaise (1770) qui avance tranquillement, j’ai donc commencé à faire des recherches de périodiques de mode des années 1879 à 1881 sur les ressources numérisées de la BNF : Gallica. Ce site est une mine d’or quand on ne cherche rien de précis et je suis donc tombée, complètement par hasard, sur un livre passionnant dont je devais à tout prix vous parler : Le secret des Parisiennes, suivi de Mélanges, par Mme Emmeline Raymond, Bibliothèque des Mères de famille, 1883 (2e édition).

Cette Mme Emmeline Raymond est la fondatrice et rédactrice en chef de la revue « La Mode Illustrée » , et le texte qui nous intéresse (Le secret des Parisiennes) semble être une compilation de chroniques publiées dans la-dite revue. Ce qui m’ennuie c’est que je ne connais pas la date de parution de ces textes dans la Mode Illustrée. Je doute qu’ils soient antérieurs à 1880, mais la question a son importance, vous le verrez dans le prochain article, parce qu’elle y décrit la garde-robe indispensable d’une vraie Parisienne.

Fichu en tulle point d'esprit, La Mode Illustrée, juillet 1880
Fichu en tulle point d’esprit, La Mode Illustrée, juillet 1880

Avant d’entamer la question de la garde-robe (qui nous intéresse particulièrement ici), j’aimerais revenir sur ce mythe de la Parisienne que l’on connaît sans connaître. Si je m’en réfère au texte écrit par Françoise Tétart-Vittu dans le catalogue de l’exposition L’impressionnisme et la mode, qui a eu lieu au musée d’Orsay l’hiver dernier [du 25 septembre 2012 au 20 janvier 2013], le thème de la Parisienne naît dans les années 1863-1869 et est associé à un côté canaille. Dans les années 1874 et 1875, Renoir puis Manet peignent la Parisienne et l’élèvent au rang de l’élégance suprême. Dans les années 1880 l’archétype de la Parisienne est bien établi toujours selon Françoise Tétart-Vittu, il n’est donc pas étonnant de le retrouver dans les chroniques de Mme Emmeline Raymond. [EDIT 2021 : La référence de l’article auquel je fais mention ici est Françoise Tétart-Vittu, « Édouard Manet, La Parisienne » dans Gloria Groom (dir.) L’impressionnisme et la mode, Paris, Musée d’Orsay, Skira, Flammarion, 2012. Notez que ces informations données par Tétart-Vittu sur l’évolution de l’image de la Parisienne entre les années 1860 et 1870 ne sont pas sourcées avec précision. Je ne sais donc pas exactement sur quoi elles reposent et cela mériterait de plus amples recherches.]

Pour ma part je croyais que l’élégance de la Parisienne signifiait qu’il s’agissait d’une femme coquette, toujours à la pointe de la mode, qui étrennait de nouvelles toilettes à chaque sortie. Sur ce dernier point Mme Emmeline Raymond m’a très vite détrompée en notant bien qu’il y a Parisienne et Parisienne. Il y a la Parisienne cocotte et flambeuse et il y a la Parisienne économe. Or, la vraie Parisienne, c’est cette dernière (en tout cas selon Mme Emmeline Raymond). [EDIT 2021 : Emmeline Raymond est une femme conservatrice et pétrie de morale chrétienne, il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’elle prône de telles valeurs d’économie dans son journal, ce qui ne veut pas dire que ses conseils soient appliqués tels quels ni que cette représentation de la Parisienne soit si répandue dans la société de 1880. Notez d’ailleurs que si ses conseils prônent le réemploi et la modestie des toilettes, toutes les gravures présentent des modèles onéreux de grands magasins. Je remercie Green Martha qui, à l’époque, m’avait apporté ces éclaircissements]

« Quand on habite loin de Paris, on s’imagine volontiers que la mode change chaque jour, et que l’on aurait un aspect suranné en portant des vêtements ou même des ornements de robe déjà connus […] »

Toutes les citations proviennent de Le secret des Parisiennes, suivi de Mélanges, par Mme Emmeline Raymond, Bibliothèque des Mères de famille, 1883 (2e édition). (à consulter intégralement ici)

Pourtant, l’autrice le rappelle, c’est parfaitement faux. Ce texte tiré de « La Mode Illustrée » nous fait donc prendre conscience qu’une vraie Parisienne use ses robes jusqu’à la moelle. Elle reporte les mêmes toilettes encore et encore en restant pourtant à la pointe de la mode.

« La principale condition à observer, si l’on veut agir avec l’habileté qui caractérise les Parisiennes, est d’abord de n’acheter que le strict nécessaire, en fait de toilettes, et de porter ces toilettes dès qu’elles sont faites, c’est à dire pendant qu’elles sont à la mode. […] Point de provisions en fait de toilettes ! […] Les personnes qui sont disposées à faire des accumulations inutiles sont toujours mal vêtues car elles adoptent une mode quelconque, seulement au moment où les autres femmes, mieux avisées, l’abandonnent pour suivre les prescriptions de la mode nouvelle. »

mantelet, La Mode Illustrée, 2 avril 1880
La Mode Illustrée, 2 avril 1880

Les Parisiennes préfèrent donc des robes simples, de couleurs sobres qui vont avec tout et aux garnitures simples qui les préservent « des bouleversements trop soudains ». Tout cela est possible car « les changements procèdent par transitions, par lentes transformations, et plutôt dans l’ensemble que dans les détails du costume », c’est ainsi que l’on transforme volontiers les quelques robes que l’on possède afin de les mettre au goût du jour. C’est une époque où les femmes ont appris à modifier les garnitures pour pouvoir renouveler leurs vêtements démodés.

Mme Emmeline Raymond indique que les tâches des femmes ont changé. Avant, elles brodaient pour faire des choses très belles et inutiles tandis qu’aujourd’hui (en 1883) elles cousent plutôt qu’elles ne brodent car « l’utilité est la devise de notre siècle ». Si ce développement de la couture domestique joue un rôle important dans l’économie des ménages, la rédactrice de La Mode Illustrée estime que ce « travail utile retient une femme au logis » en la préservant des tentations et en lui apprenant à aimer et à s’occuper de sa maison.

Ainsi la vraie Parisienne selon Mme Emmeline Raymond est raisonnable et économe, mais de quoi doit être constituée sa garde-robe de base ? Comment parvient-elle à être toujours élégante ? C’est ce que nous verrons dans la suite de cet article…


J’espère que ces quelques notes de lecture vous auront plu ! Je publierai bientôt la suite à savoir « La garde-robe indispensable d’une Parisienne en 1880 ». Bonne semaine. 🙂

L’image de couverture est un découpage sauvage du tableau d’Edouard Manet, La Parisienne, huile sur toile de 1875 conservée au musée national de Stockholm.

Lucie

Romancière et illustratrice, passionnée d'arts du fil et d'histoire du costume, je vous propose une promenade dans mon univers, fait d'écriture, de dessin, de costumes historiques, de garde-robe cousue main, de broderie, de tricot et de réflexions politiques.

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