J’ai commencé à rédiger cet article il y a deux ans et demi et… je ne sais pas pourquoi je ne l’ai pas publié. Je vous propose donc aujourd’hui une publication en deux volets sur la dimension politique de la couture. Le premier article aborde le sujet de manière générale tandis que dans le second, je vous parlerai de mon parcours depuis sept ans pour gagner en autonomie dans la confection de ma garde-robe. Bonne lecture !
Bonjour bonjour ! C’est un commentaire sous mon article sur la fin de ma broderie anglaise qui m’a donné l’idée de cet article. Celui-ci remarquait que ma démarche de broder ma propre broderie anglaise pour orner le bas d’un jupon (et donc de passer 7 mois sur un projet destiné à être parfaitement invisible) était un bel hommage à nos ancêtres, pour qui les vêtements étaient un objet de soins, bien plus qu’aujourd’hui.
À dire vrai, ce n’est pas du tout par esprit d’hommage (ou plutôt de femmage) que j’ai entrepris ce projet, mais plutôt parce que j’aime passer du temps sur mes costumes, parce que j’aime broder et parce que j’avais envie, depuis longtemps, de m’essayer à la broderie anglaise. Bref, pas vraiment de dimension politique à première vue, et pourtant…
Il me semble en réalité que la pratique des arts du fil peut être quelque chose d’éminemment politique, et c’est ce dont j’avais envie de vous parler aujourd’hui.
Faire de ses mains contre le capitalisme
Lorsque l’on pratique les arts du fil, et en particulier la couture ou le tricot, on devient capable assez rapidement de réaliser ses propres vêtements et donc de sortir en partie des circuits de production. Si les vêtements sont associés à une certaine dimension de futilité, il faut quand même se rappeler qu’on est toutes et tous obligés de s’habiller, pas seulement pour des questions de moralité dans nos sociétés, mais aussi et surtout parce que nos vêtements servent à nous protéger contre les éléments.
À partir de là, se dire que l’on est capable de réaliser de ses mains quelque chose d’aussi indispensable à nos existences qu’avoir un toit sur la tête ou manger, c’est un peu comme être capable de se construire une maison ou de se nourrir de la production de son propre potager. Être capable de coudre, raccommoder, tricoter, filer est tout de même une compétence hyper intéressante dans une optique anticapitaliste, puisque cela permet de retrouver une certaine puissance grâce à son savoir-faire. Puisque je ne suis pas assujettie à la grande distribution pour me vêtir, je peux choisir les matériaux que je veux, le formes que je veux, etc.
Je ne sais pas si c’est cette dimension qui a provoqué un tel regain de popularité de la couture et autres arts du fil ces dernières années, mais de même que pour la popularité de la permaculture ou de l’auto-construction, l’engouement pour la couture traduit peut-être un désir de se réapproprier une puissance collective, refuser de déléguer à d’autres la responsabilité de combler nos besoins essentiels et ce faisant de gagner en liberté.
Pourtant, le capitalisme est réactif et face à cet engouement du « faire soi-même », il a su s’adapter pour nous créer des besoins de consommation imaginaires. Le milieu de la couture, au même titre que celui de la broderie ou d’autres, a été très touché par ce retour de bâton, on le voit avec la commercialisation de plein de gadgets, avec les collections de tissus qui changent aussi vite que les collections H&M, avec la masse de livres pratiques pas toujours très pertinents qui ont fleuri ces dernières années…
La couture, et plus généralement le Do It Yourself, sont en haut d’une crête entre la surconsommation du capitalisme, et le « slow life » et c’est une situation qui me laisse perplexe. Si l’on n’y prend pas garde, alors même que ce qui nous a séduit dans l’activité était précisément la dimension d’autonomie et d’indépendance (tout relative cependant, puisqu’il est difficile de sortir du système dans lequel on vit et que les matières premières nécessaires restent des éléments sur lesquels on n’a pas vraiment la main), on peut très vite retomber dans une valse infernale de consommation dont on n’a pas besoin.
Une activité de femme(s)
Le fait que les femmes surinvestissent ce genre d’activités aujourd’hui pourrait être vu comme un recul du féminisme (alors que l’on s’est battues pour sortir du foyer, nous revoilà massivement à y retourner pour confectionner la garde-robe de toute la famille) ou au contraire comme une réappropriation des genres dits féminins pour y réinvestir du politique (de nombreuses artistes utilisent le fil dans leur œuvre, je vous renvoie par exemple à cet article de Léonie Lauvaux sur son travail autour de la broderie et de la maternité dans la revue En marges !).
Aujourd’hui, estime-t-on collectivement avec le même respect quelqu’un qui sait construire sa maison et quelqu’un qui sait confectionner ses vêtements ? Je suis certaine que non et la raison n’est pas très difficile à trouver (le sexisme et la dévalorisation systémique de tout ce qui est « féminin »). Pourtant, en hiver dans ta maison auto-construite, il est probable que tu te gèles le cul si tu es tout nu.
En cas d’effondrement, les personnes qui savent coudre s’en sortiront sans doute mieux que celles qui ne savent rien faire de leurs dix doigts parce qu’elles et ils sont déjà capables de faire quelque chose dont absolument tout le monde a besoin. Mon compagnon m’avait d’ailleurs fait remarquer qu’il n’avait jamais vu de films dans des univers post-apocalyptiques où les personnages prennent le temps de repriser leurs vêtements. On n’y pense pas, mais c’est pourtant une compétence essentielle : un vêtement que l’on reprise, c’est un vêtement qui dure et qui nous protège plus longtemps.
Même les personnes qui aujourd’hui cousent des vêtements que l’on n’imaginerait pas utiles dans un contexte de fin de la civilisation, ont en fait appris tout un tas de compétences précieuses et facilement mobilisables dans d’autres contextes.
Bien sûr, je ne dis pas que toute personne qui coud ou tricote le fait dans une optique anti-capitaliste (même si j’adorerais que ce soit vrai). En revanche, je pense vraiment qu’il y a, dans ces activités, un germe de contestation du système qui peut s’avérer puissant.
Dans la deuxième partie de cet article, je reviendrai sur mon propre parcours avec la couture. Je ne suis pas sûre d’en avoir déjà parlé dans les pages de ce blog, mais en l’occurrence, c’est vraiment une démarche politique qui a façonné ma pratique actuelle des arts du fil. Je vous donne donc rendez-vous lundi prochain et d’ici là, n’hésitez pas à me dire si ce que je raconte résonne ou non avec votre propre pratique.
Je suis tout à fait d’accord avec ton analyse et tant que couturière anti-capitaliste j’apprécie que tu mettes des mots sur ce que je pense depuis longtemps mais que je n’ai pas si clairement exprimé. J’aime aussi beaucoup prendre du temps pour faire mes fringues -et un peu celles des autres- puisque coudre est aussi un moyen pour moi de fuir le fracas du monde (ça fait un peu emphatique mais les temps sont durs). Des moments précieux… sans compter les copines qui viennent coudre avec moi et où on cause peinardes tout en douceur. J’attends ton deuxième article avec intérêt!!
Merci Anne, contente que ça fasse écho !
Je l’avoue, on me dit régulièrement « que je me casse le cul avec mes aiguilles alors que je pourrais utiliser une machine ou acheter neuf (on en trouve partout à moindre coût!) » mais à chaque fois, je ne peux pas m’empêcher de penser secrètement que le jour où on vire post-apo je serais nettement moins emmerdée pour me garder au chaud que ces gens. (Et je leur dis simplement « oui mais j’aime ça, ça me détend »)
Hihi
Haha ! Knitters rule the world (mais discrètement) 😀
Je te suis tout à fait !!
Pas sûre que j’arriverai à faire des pulls de façon efficace en cas d’effondrement, mais repriser et coudre, même à la main, ça oui 😉 J’avais établi une liste de trucs à enseigner à mes enfants pour leur vie future (et pas que en cas de catastrophes en tous genres) et clairement la couture en fait partie. Il n’y a plus qu’à prendre ce temps.
C’est vrai que quand je vois mes piles de tissus et mes innombrables patrons, pour les réalisations desquels une vie ne suffira déjà pas, je me dis que je me fais bien avoir par les sirènes de la consommation… mais la réflexion vertueuse est déjà en route (puces couturières à faire du coté vendeuse par exemple…)
C’est une bonne idée ces puces couturières, je te soutiens dans cette voie ! (Et je viendrai t’y acheter des trucs XD)