[LIVRES] Voltairine de Cleyre, la pensée anarchiste

Livre Voltairine de Cleyre revue sur Carnet de recherches de Lucie Choupaut

Bonjour à toutes et à tous ! Même si j’ai encore beaucoup de retard à rattraper sur les reposts d’anciens articles, j’avais envie de commencer aujourd’hui à remplir la catégorie « Lire » de ce carnet de recherches. Or, puisque cela fait un petit moment que nous n’avons pas parlé d’anarchisme ici, c’est l’occasion de vous recommander un ouvrage que j’ai lu en 2020 : Voltairine de Cleyre, Écrits d’une insoumise. Textes réunis et présentés par Normand Baillargeon et Chantal Santerre, Québec, Lux, 2018.


Je n’avais jamais entendu parler de Voltairine de Cleyre avant d’aller faire un tour dans ma librairie préférée à Toulouse (j’ai nommé Terra Nova) où je suis tombée sur cet ouvrage de Lux éditeur, mis en avant dans la section sur l’anarchisme.

Comme les livres sur l’anarchisme sont une de mes passions, plus encore quand ils parlent de femmes anarchistes, je n’ai même pas hésité avant de le mettre sur le dessus de ma pile et de le dévorer.

« ll existe, en ce moment même, un pressant besoin de mettre de l’avant un ensemble de principes qui rendront pour toujours impossible qu’un être humain en contrôle un autre en contrôlant ses moyens de subsistance. »

Voltairine de Cleyre « La tendance économique de la libre pensée », in Voltairine de Cleyre, Écrits d’une insoumise. Textes réunis et présentés par Normand Baillargeon et Chantal Santerre, Québec, Lux, 2018. p.48
Couverture du livre de Voltairine de Cleyre, Écrits d'une insoumise

Voltairine de Cleyre est née aux États-Unis en 1866 dans une famille pauvre de la classe ouvrière. Sa mère est issue d’une famille ayant milité au sein du mouvement abolitionniste (contre l’esclavage donc) et son père, d’origine française est un libre-penseur, ce qui ne l’empêche pas d’envoyer malgré tout sa fille au couvent. C’est là-bas que, semble-t-il, elle développe sa libre pensée, qui la mènera plus tard à l’anarchisme.

Toute sa vie, Voltairine de Cleyre a milité pour faire comprendre l’anarchisme aux classes ouvrières. Elle s’est beaucoup exprimé en public sur tout un tas de sujet et a vraiment développé une pensée très juste et percutante, notamment au sujet de l’anarcha-féminisme.

« Par mariage, j’entends son contenu réel, la relation permanente entre un homme et une femme, relation sexuelle et économique qui permet de maintenir la vie de couple et la vie familiale actuelle […] Non, ce que j’affirme c’est qu’une relation de dépendance permanente nuit au développement de la personnalité, et c’est cela que je combats. […] Le moyen le plus facile, le plus sûr et le plus répandu de tuer l’amour est la mariage […] la seule façon, disais-je de préserver l’amour est de maintenir la distance. »

Voltairine de Cleyre « Le mariage est une mauvaise action », 1907 , in Voltairine de Cleyre, Écrits d’une insoumise. Textes réunis et présentés par Normand Baillargeon et Chantal Santerre, Québec, Lux, 2018. p.202

Si elle estimait que la violence pouvait être un outil de propagande acceptable, elle-même était non-violente et, selon moi (même si je n’ai pas fait de recherches approfondies pour étayer cette idée), son humanisme et sa capacité de pardon n’était peut-être pas étrangère à sa formation religieuse.

J’ai vraiment beaucoup aimé découvrir les écrits de Voltairine de Cleyre, qui est pour moi une figure admirable et très importante du mouvement anarchiste à la fin du XIXe et au début du XXe siècle et je voudrais que tout le monde la lise.

« Si ceux qui croient en la liberté souhaitent que ses principes soient enseignés, ils ne devraient jamais confier l’instruction à un gouvernement, car la nature de celui-ci est de devenir une entité en soi, une institution qui existe pour elle-même, qui se nourrit du peuple et qui enseigne n’importe quoi, du moment que cela lui garantit sa place au pouvoir. »

Voltairine de Cleyre « Anarchisme et traditions américaines », in Voltairine de Cleyre, Écrits d’une insoumise. Textes réunis et présentés par Normand Baillargeon et Chantal Santerre, Québec, Lux, 2018. p.70

Cependant, deux choses m’ont malgré tout agacée dans cette édition. La première c’est le titre « Écrits d’une insoumise », qui me semble participer à l’invisibilisation dont sont trop souvent victimes les femmes anarchistes. Il me semble qu’en choisissant le terme « insoumise » plutôt que tout simplement « anarchiste », l’éditeur a choisit d’amoindrir le statut de cette femme et je trouve ça très regrettable. Voltairine de Cleyre n’était pas juste une « insoumise », mot vaporeux et poétique qui veut un peu tout et rien dire. Voltairine de Cleyre était une anarchiste. Elle l’a revendiqué, malgré les menaces (rappelons que le contexte dans lequel elle a évolué n’était pas franchement favorable aux anarchistes, qui se faisaient arrêter et exécuter à tour de bras) et c’est un peu une insulte à sa mémoire de ne pas lui accorder le qualificatif qu’elle s’était elle-même choisi.

L’autre chose qui m’a agacée c’est que, dans la longue présentation de la biographie de l’autrice que font Normand Baillargeon et Chantal Santerre, on passe évidemment un certain temps à dire comment les hommes qui ont partagé sa vie ont influencé sa pensée. Notez que les biographies d’hommes où on prend la peine de développer combien les femmes de leur entourage ont influencé leur pensée se comptent sur les doigts d’une main. Ça me met toujours autant en rogne de voir que, y compris dans des éditions récentes et a priori progressistes, cette fâcheuse habitude perdure. (J’en parlais d’ailleurs dans cette tribune publiée sur Le Monde Libertaire).

« L’anarchisme est en vérité une sorte de protestantisme dont les adhérents sont unis par la croyance essentielle que toutes les formes d’autorité extérieure doivent disparaître pour être remplacées par l’autogestion, mais qui sont divisés par leur conception de la forme de la société future. […] Seules la liberté et l’expérience peuvent déterminer les meilleures formes de société. C’est pourquoi je ne m’attribue pas d’autre étiquette que celle de simple ‘anarchiste’. »

Voltairine de Cleyre « La naissance d’une anarchiste », in Voltairine de Cleyre, Écrits d’une insoumise. Textes réunis et présentés par Normand Baillargeon et Chantal Santerre, Québec, Lux, 2018. p.104-105

Bref, toujours est-il que malgré ces reproches, ce livre a le mérite de faire exister la pensée anarchiste de Voltairine de Cleyre, qui vaut vraiment d’être lue. Si vous voulez poursuivre sa découverte, vous pouvez aussi aller jeter un œil à la première poésie de lecture que j’ai publié d’après ses textes. D’autres sont d’ailleurs prévues.


Voilà pour cette petite revue de lecture qui, je l’espère, vous aura intéressée. Je reviens dans quelques jours avec des photos d’un nouveau costume. Bonne semaine !

Lucie

Romancière et illustratrice, passionnée d'arts du fil et d'histoire du costume, je vous propose une promenade dans mon univers, fait d'écriture, de dessin, de costumes historiques, de garde-robe cousue main, de broderie, de tricot et de réflexions politiques.

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